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Lutte d’investiture

Le conflit dans lequel l’Église, au cours de la seconde moitié du XIe siècle et des premières décennies du XIIe siècle, s’est opposée au pouvoir des seigneurs féodaux laïcs. Il a été réglé en principe par le Concordat de worms (1122), mais la longue lutte entre la papauté et le Saint Empire romain jusqu’au milieu du XIIIe siècle a en fait été sa continuation.

Le problème. La lutte pour l’investiture trouve son origine dans le différend provoqué par la manière dont les évêques se voient accorder la possession des biens ecclésiastiques par leurs suzerains (voir féodalisme). En tant que seigneur féodal lui-même, l’évêque recevait ses biens temporels par investiture, mais les symboles utilisés pour cette investiture, le crosier et l’anneau, étaient équivoques. Ils pouvaient être compris comme représentant également le pouvoir de juridiction du prélat. Alors qu’il était légitime pour le suzerain de conférer les temporalités (le fief) à son vassal, l’évêque, l’Église ne pouvait admettre les prétentions du seigneur de conférer le pouvoir ecclésiastique, la potestas jurisdictionis. Une distinction claire entre les deux pouvoirs et une interprétation exacte de la signification des symboles auraient dû suffire pour éviter toute difficulté. En France, ivo de chartres avait contribué à un climat plus calme par des distinctions et des interprétations aussi précises ; mais dans l’Empire, la controverse juridique était le prétexte à un conflit politique de la plus grave espèce.

Au cours de la première moitié du XIe siècle, les princes et les seigneurs feduaux avaient, en fait, mis la main sur les évêchés, les abbayes, les églises locales et les revenus ecclésiastiques. En s’appropriant les revenus tirés de la terre et de la dîme et par la nomination d’évêques et de pasteurs, ils étaient devenus les maîtres de l’Église. La papauté du xe siècle (jean x) avait toléré de telles prétentions laïques et, au début du xe siècle, thiet mar de mersebourg justifia l’ingérence royale en soulignant que le souverain était le représentant de Dieu sur la terre (Chron. 1:26). À peu près au même moment, cependant, les réformateurs clunisiens prévoyaient de libérer l’Église de la tutelle des laïcs, et leurs idées ont été adoptées à Rome après le milieu du XIe siècle. Le siège romain lui-même avait été libéré de l’ascendance laïque à la suite du décret électoral de 1059, et la papauté sous grégoire vii (1073-85) a réagi vigoureusement. Le synode romain de février 1075 a interdit aux clercs de recevoir l’investiture des mains d’un laïc. Cette contre-attaque frontale contre des pratiques qui étaient des abus a déclenché la lutte, dont l’intensité varierait selon les pays.

Le conflit prit peu d’importance en Italie, sauf dans la mesure où certains évêques s’impliquèrent dans la lutte entre le pape et l’empereur. En Angleterre et en Allemagne, il intéressait immédiatement les maisons dirigeantes qui, ayant généreusement doté leurs évêchés, avaient toute intention de continuer à contrôler le recrutement de l’épiscopat. En France également, le roi était engagé dans la lutte, mais le problème était également préoccupant pour de nombreux seigneurs féodaux ayant des évêques comme vassaux.

La politique de Grégoire VII. Les réformateurs grégoriens avaient dénoncé l’investiture laïque comme une usurpation. Pour humbert de silva candida (Adversus simoniacos 1057 ou 1058; Monumenta Germaniae Historica, Libelli de lite 1), c’était la « fonction épiscopale » qui était conférée par l’anneau et le bâton, et une telle investiture ne pouvait pas être effectuée par des laïcs. Il semblait également que la réforme du clergé, la lutte contre la simonie et l’immoralité cléricale commencée au milieu du XIe siècle, ne pouvait atteindre son but que si le recrutement du clergé était soustrait au contrôle des laïcs. nicho las ii, lors du synode romain d’avril 1059, avait interdit  » à tout clerc de recevoir de quelque manière qu’elle soit une église des mains de laïcs  » (can. 6). Il s’agissait en effet d’une condamnation précoce de l’investiture laïque, mais elle était formulée en termes très généraux, et aucune sanction n’était attachée. Dans les premières années de son pontificat (1073-74), Grégoire VII n’a attaqué que la simonie et le mariage clérical (Nicolaitisme). Il n’interdit pas les investitures laïques, ni en France ni dans l’Empire. Mais lorsque ses mesures contre l’incontinence cléricale se révélèrent inefficaces, Grégoire VII procéda au Concile de Rome de février 1075 à condamner l’investiture des laïcs. Le libellé exact du décret de 1075 n’est pas connu. Le texte avancé par Hugues de Flavigny (Monumenta Germaniae Historica: Scriptores 8:412) est trop similaire à celui du décret d’investiture promulgué au Concile de 1080 pour mériter beaucoup de crédit (Histoire de l’église depuis les origines jusqu’à nos jours, ed. A. Fliche et V. Martin). Une lettre du pape à hugues de die (12 mai 1077) fait allusion au décret de 1075: l’intention était de répéter et de rendre plus précis le canon 6 du synode du Latran de 1059 et d’interdire aux évêques de recevoir leurs charges des mains de laïcs. Mais ce texte est également vague. Bien qu’il interdisait aux laïcs de prétendre accorder la juridiction épiscopale, on peut se demander si le pape n’a pas toléré que le seigneur féodal laïc accorde les temporalités de l’évêché. L’interdiction des investitures laïques en ces termes généraux et donc imprécis a été renouvelée lors des synodes romains de novembre. 19, 1078, et le printemps de 1080. Mais le pape est resté prêt au compromis. L’essentiel pour lui était d’avoir un clergé supérieur de qualité. Partout où le prince choisissait de bons évêques, comme en Angleterre et en Normandie, le pape n’intervenait pas. Par conséquent, il n’y eut pas de lutte d’investiture, à proprement parler, ni en Angleterre ni en Espagne.

En France, le décret, publié après quelques hésitations et retards, n’a pas été strictement appliqué. Grégoire était particulièrement désireux de mettre fin au trafic dans les évêchés par lequel Philippe ier donnait un exemple scandaleux. Hugues de Die, légat du pape, était impitoyable avec les simonistes, mais tolérait l’intervention laïque lorsqu’elle ne favorisait ni la simonie ni le mariage clérical.

Sous l’Empire, les évêchés sont aux mains d’henri iv. La nomination par le roi d’un archevêque pour Milan, suivie de sa sélection de candidats médiocres pour Bamberg, Fermo, Spolète et Cologne (1075), provoque une explosion. Mais, en condamnant l’investiture laïque des évêques, Grégoire VII, en tant que successeur de Pierre, a inclus une revendication d’une surveillance générale du règne des princes.  » En Allemagne, la lutte d’investiture ne devait être qu’un aspect de la lutte entre le Sacerdoce et l’Imperium  » (Fliche). Lors d’une assemblée tenue à Worms (Janv. 14, 1076), l’épiscopat allemand soutint Henri, attaqua Grégoire VII et refusa plus longtemps de le considérer comme Pape. La réponse de Grégoire fut l’excommunication d’Henri (Fév. 14, 1076). Abandonné par une partie de l’épiscopat et menacé de condamnation par une assemblée convoquée à Augsbourg, lors de laquelle le pape devait présider le 16 février 1948, le pape a décidé de ne pas le faire. Le 2 janvier 1077, Henri se soumet à Canossa (Janv. 25–28, 1077). Mais le conflit a rapidement éclaté à nouveau. Henri fut de nouveau excommunié lors du concile du 7 mars 1080 ; ses sujets furent absous de leur serment de fidélité ; et Grégoire reconnut Rodolphe de Souabe comme roi. Henri convoqua une assemblée à Brixen (25 juin 1080) qui à son tour déposa Grégoire et élut à sa place Abp. guibert de Ravenne qui prit le nom de Clément III. L’antipape, cependant, n’était reconnu par aucun pays de la chrétienté, et Henri tenta de l’imposer à Rome par la force des armes. Grégoire VII est expulsé de Rome, s’exile (1084) et meurt le 25 mai 1085.

Approches doctrinales. Les controverses doctrinales concernant l’investiture n’étaient pas, à l’époque de Grégoire VII, aussi importantes que la lutte politique elle-même. Rares étaient les auteurs qui s’attaqueraient au problème, que ce soit pour soutenir le roi (lettre de wenrich de trèves, novembre 1080; l’anonyme De investitura regali collectanea), ou exposer la thèse papale. Il fallait trouver un compromis. Il a été esquissé, d’un point de vue doctrinal, par Guido de Ferrare, qui a fait la distinction entre les fonctions spirituelles et laïques de l’évêque. En tant qu’homme de Dieu, l’évêque est le sujet du pape, mais en tant que locataire des biens temporels, il est soumis au pouvoir laïc. Guido accorda en outre que le prince puisse nommer l’évêque. Des faux de date presque contemporaine ont été utilisés pour étayer cette affirmation. Ainsi, la distinction entre les deux aspects d’un évêque n’avait pas encore apporté une solution acceptable au conflit. C’est pourtant la formule qui, 30 ans plus tard, permettra de résoudre le dilemme.

Sous Urban II. Après le pontificat de victor iii, urbain ii (1088-99) ne devint maître de Rome qu’en 1094. L’antipape Clément III est retourné à Ravenne et n’a plus contesté l’autorité du pape légitime. La politique d’Urban était souple, et il cherchait à rétablir la paix par l’indulgence et en utilisant la théorie de la dispense des canons que le contemporain bernold de constance développait dans son De excommunicatis vitandis. Une telle politique conciliante allait à l’encontre des théories exposées par le cardinal Deusdedit (voir deusdedit, collection de), qui était le plus soucieux d’éliminer l’investiture laïque. Sa position doctrinale ainsi que les excès de souverains tels que Guillaume ii d’Angleterre et Philippe Ier en France ont conduit le Pape à affirmer à nouveau la doctrine grégorienne. Non seulement l’investiture des laïcs était interdite (Clermont can. 15-16), mais il en était de même — et c’était quelque chose de nouveau — de tout serment de fidélité d’un évêque à un laïc (ibid. peut. 17). Avec le raidissement de la position papale, concomitant bien qu’il fût aux premières tentatives d’Ivo de Chartres pour trouver une solution au conflit, la lutte pour l’investiture éclata plus violemment que jamais. En France et en Angleterre, cependant, un chemin vers la paix devait être trouvé par Ivo et Hugues de Fleury, chacun adoptant une approche légèrement différente, mais opérant tous deux via une analyse plus exacte de l’investiture et une distinction nette et claire entre l’octroi de la juridiction ecclésiastique et la concession des possessions temporelles. Hugues autorisa également « l’investiture avec des choses séculières » par le seigneur laïc, mais bien que protagoniste de la prérogative royale, il réservait à l’archevêque l’octroi de l’anneau et de la crosse.

La colonie anglaise. En Angleterre, lanfranc de cantorbéry et l’anonyme d’york (au moins dans le De Romano pontifice, vers 1104) limitaient également l’investiture laïque à l’octroi « du pouvoir sur le peuple et de la propriété des choses temporelles. »Peu de temps après, des négociations ont été entamées entre Henri ier et anselme de canterbury. Ils aboutissent à un accord (1107) qui élimine l’investiture laïque avec anneau et bâton mais admet que l’évêque doit le serment de vassalité à son suzerain en échange de ses fiefs. Cela signifiait sanctionner les théories d’Hugues de Fleury ; et le pape, qui avait participé à ce compromis, se montra moins intransigeant que les conciles de Clermont (1095) ou de Rome (1099) qui avaient formellement interdit aux évêques de prêter le serment féodal. Par conséquent, il n’y avait guère de difficultés entre le Saint-Siège et Henri Ier (1100-35).

La Solution française. En France, les difficultés créées par la désignation d’Étienne de Garland à Beauvais (1100) enveniment encore le conflit entre Philippe Ier et la papauté causé par les relations illicites du roi avec Bertrada de Montfort. Cependant, en 1104, le souverain fut absous de son excommunication, et l’affaire de Beauvais fut habilement réglée par l’intervention d’Ivo de Chartres. Pascal ii, qui espérait un accord avec la France, négocia un règlement de la question des investitures en 1107. Malheureusement, ni la forme que le règlement a prise ni ses termes précis ne sont connus. Le canon 1 du Concile de Troyes (mai 1107) interdit formellement l’investiture d’un évêque, et sous le règne de louis vi, les évêques ne sont pas investis par le roi, bien qu’ils lui jurent fidélité. Là encore, sans bénéficier d’un véritable concordat, les idées d’Ivo de Chartres triomphèrent.

Allemagne au début du 12ème siècle. Ce n’est qu’en Allemagne, sous Henri IV (décédé en 1106) et son successeur henryv, qui était déterminé à sauvegarder son droit d’investiture, que la lutte devint violente. Une véritable guerre s’ensuivit, le roi procédant à la nomination des évêques et le pape interdisant à nouveau l’investiture des laïcs (Concile du Latran, 1100). Les thèmes opposés ont fait l’objet de deux traités importants: le Tractatus de investitura episcoporum (1109; Monumenta Germaniae Historica, Libelli de lite 2), écrit par un clerc de Liège à la demande d’Henri V, et le Liber de anulo et baculo de Rangerius de Lucques (1100; ibid. ). Cependant, une solution radicale a été suggérée par les légats de Pascal II, qui, pour interdire l’investiture des laïcs, ont déclaré que le pape était prêt à abandonner au nom des évêques toutes leurs possessions temporelles. Cette solution était le Concordat de Sutri (1111; Monumenta Germaniae Historica: Constitutiones 1:140). Mais Henri V a subordonné sa mise en œuvre à la ratification par l’Épiscopat allemand. Comme prévu, les évêques, que le concordat exposait au risque de perdre leur fortune, refusèrent de ratifier. Mais Pascal II, prisonnier d’Henri V et en tant que tel, soumis à de graves pressions, fut contraint d’accorder au roi l’investiture des évêques et des abbés, à condition que leur élection n’ait pas été simoniaque (avril 1111). Sa promesse (Monumenta Germaniae Historica: Constitutiones 1:144), extorquée par la violence, n’a pas été considérée comme contraignante par le clergé italien et français. Un Concile tenu au Latran (mars 1112) annula le privilegium extorqué par Henri V et rétablit les principes grégoriens. Sans se soumettre aux exhortations des prélats qui le pressaient de rompre avec Henri V et de l’excommunier, Pascal II réaffirma la condamnation de l’investiture laïque au cours des dernières années de son pontificat. À sa mort (1118), Henri V met en place l’antipape Grégoire VIII pour s’opposer à gélase ii, choisi par les cardinaux et le clergé romain. Le conflit a de nouveau éclaté. Gélase excommunia l’empereur et son antipape. Mais le pape voulait la paix et savait qu’elle ne viendrait que par l’arbitrage. Il espérait peut-être que Louis VI fournirait une médiation, mais Gélase mourut à Cluny (Janv. 29, 1119) en route pour rencontrer le roi à Vézelay. Son successeur, Guy de Vienne, qui prit le nom de callis tus ii, se montra un adversaire intransigeant des investitures laïques, même s’il était un parent de l’empereur. Mais il voulait la paix et cherchait la voie du compromis dans les doctrines de Chartres dont il assurait le succès. Il se montre ainsi plus modéré que son ancien partenaire d’intransigeance, geoffroy de vendÔme, qui publie en 1118-19 son Tractatus de ordinatione episcoporum et de investitura laicorum. Geoffrey a considéré l’investiture comme un « sacrement » et a déclaré que la recevoir des mains laïques signifiait « jeter ce qui est saint aux chiens. »

Concordat de Worms. En 1119, Calliste II charge l’abbé de Cluny et guillaume de champeaux, évêque de Chalons, deux Français familiers de la solution de compromis adoptée en France, d’en expliquer les avantages à Henri V (colloque de Strasbourg). Après des négociations infructueuses à Mouzon (octobre 1119), un accord a été conclu qui s’est articulé dans deux déclarations comprenant le Concordat de worms (sept. 23, 1122; Monumenta Germaniae Historica: Constitutiones 1:159). L’empereur renonça à l’investiture avec anneau et bâton et garantissait la liberté des élections. Le pape consent à ce que des élections se tiennent  » en présence de l’empereur  » et à ce qu’il accorde les insignes au prélat nouvellement élu par investiture avec le sceptre. Ainsi, la distinction de Chartres entre le spirituel et le temporel dans l’évêché, complétée par la distinction de la double investiture, par anneau et bâton pour le spirituel, et par sceptre pour le temporel — distinction clairement établie par un traité français anonyme, le Defensio Paschalis papae, c. 1122, (Monumenta Germaniae Historica, Libelli de lite) – enfin triomphé dans l’Empire comme il l’avait fait 15 ans auparavant en Angleterre et en France.

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