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Les invasions barbares

Crise économique et sociale

Les invasions et les guerres civiles se sont conjuguées pour perturber et affaiblir l’empire sur une période d’un demi-siècle. Les choses étaient au plus mal dans les années 260, mais toute la période de 235 à 284 a rapproché l’empire de l’effondrement. De nombreuses régions ont été dévastées (Gaule du nord, Dacie, Mésie, Thrace et de nombreuses villes de la mer Égée); de nombreuses villes importantes ont été pillées ou détruites (Byzance, Antioche, Olbia, Lugdunum).; et le nord de l’Italie (Gaule cisalpine) avait été envahi par les Alemanni. Pendant la crise, l’empereur a soit concentré ses forces sur la défense d’un point, invitant l’attaque à un autre, soit il a laissé toute une frontière assiégée à ses propres moyens; tout commandant qui a réussi a eu le pouvoir de l’empereur sur lui, dans la foulée même de ses victoires sur les envahisseurs. Comptant plusieurs fils et frères, plus de 40 empereurs se sont ainsi établis pour un règne quelconque, long ou (le plus souvent) court. La déstabilisation politique se nourrissait d’elle-même, mais elle était aussi responsable de lourdes dépenses de vie et de trésor. Pour suivre le rythme de ce dernier, les empereurs successifs ont rapidement et radicalement réduit le pourcentage de métal précieux dans les pièces d’argent standard à presque rien afin de le répartir sur des émissions plus importantes. Ce qui est ainsi devenu une monnaie fiduciaire n’a pas trop résisté jusqu’aux années 260, lorsque la confiance s’est effondrée et que les gens se sont précipités pour transformer l’argent qu’ils avaient en biens de valeur réelle. Une inflation incroyable a commencé, qui a duré des décennies.

La gravité des dommages causés à l’empire par la déstabilisation politique et économique n’est pas facilement estimée car pour cette période les sources de toutes sortes sont extrêmement pauvres. Le bon sens suggère que le commerce a été perturbé, que les impôts ont été perçus plus durement et de manière inégale, que les maisons et les récoltes ont été détruites, que la valeur de l’épargne a été perdue à cause de l’inflation et que l’économie en général a été gravement ébranlée. Une grave peste aurait duré des années au milieu du siècle, faisant de terribles victimes. Dans certaines régions occidentales, l »archéologie fournit une illustration de ce à quoi on pourrait s »attendre: les villes de Gaule étaient murées, généralement dans des circuits très réduits; des villas ici et là dans les provinces du Rhin et du Danube étaient également murées; les réseaux routiers étaient défendus par des lignes de fortlets dans le nord de la Gaule et l’Allemagne voisine; et quelques régions, comme la Bretagne, ont été abandonnées ou ont rechuté dans la primitivité pré-romaine. Au large des côtes de cette péninsule et ailleurs aussi, la piraterie régnait ; sur terre, le brigandage se produisait à grande échelle. Le triangle de terre réentrant entre le Danube supérieur et le Rhin supérieur a dû être définitivement abandonné aux barbares qui l’entouraient vers 260. La Pax Romana avait alors, de toutes ces manières manifestes, été gravement perturbée. En revanche, en Égypte, où l’inflation est la plus largement documentée, ses effets néfastes ne peuvent être détectés. L’économie égyptienne n’a montré aucun signe d’effondrement. En outre, certaines régions — la majeure partie de la Grande-Bretagne, par exemple – sont sorties du demi-siècle de crise dans un état plus prospère qu’auparavant. Un résumé des effets de la crise ne peut que souligner un seul fait qui va presque de soi: les merveilles de civilisation atteintes sous les Antonins nécessitaient une base essentiellement politique. Ils avaient besoin d’une monarchie forte et stable aux commandes d’une armée forte. Si l’un ou l’autre ou les deux étaient gravement perturbés, l’économie en souffrirait, ainsi que la facilité et l’éclat de la civilisation. Si, en revanche, la base politique pouvait être restaurée, la santé de l’empire dans son ensemble n’était pas au-delà du rétablissement.

Entre-temps, certains grands changements non liés à la crise politique et économique se sont avancés au 3ème siècle. Les civils se plaignent de plus en plus de harcèlement et d’extorsion de la part des troupes stationnées parmi eux; l’exaction des impôts destinés à l’armée devint également la cible de plaintes plus fréquentes; et les demandes des soldats d’interférer dans le gouvernement civil, en premier lieu celles de ceux stationnés dans la capitale, devinrent plus insolentes. Le choix de l’empereur devint de plus en plus ouvertement la prérogative de l’armée, et non du Sénat; et, comme mentionné, dans les années 260, les sénateurs étaient en grande partie déplacés des hauts commandements militaires. Le grade équestre, dans lequel se trouvaient souvent des personnes issues de carrières militaires, était le bénéficiaire de la nouvelle politique. En somme, le pouvoir des militaires, haut et bas, s’affirmait contre celui des civils. De ce changement, en outre, il a découlé certaines conséquences culturelles; car, poursuivant les tendances détectables même au 1er siècle, l’armée était de plus en plus recrutée dans les zones les plus arriérées, surtout dans les provinces danubiennes. Ici aussi – en effet, dans tout le glacis septentrional de l’empire —, la politique de l’État avait permis à des tribus entières de barbares d’immigrer et de s’installer sur des terres vacantes, où ils habitaient, cultivaient, payaient des impôts et offraient leurs fils à l’armée. Ces immigrants, de plus en plus nombreux à partir du règne de Marc Aurèle, ont produit, avec la population rurale, un mélange très non romanisé. Du milieu de ces personnes, Maximin monta sur le trône en 235, et plus tard, de même, Galère (César à partir de 293). Il est tout à fait approprié esthétiquement, à partir d’Aurélien, que ces dirigeants du troisième siècle aient choisi de se présenter à leurs sujets dans leur propagande avec un menton entaillé, une mâchoire dressée et des cheveux coupés courts sur une tête de balle.

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